Les maisons d’édition françaises et leurs choix (révélateurs) de couvertures

L’année 2019 nous a montré une fois de plusieurs que, malgré certains efforts, les maisons d’édition ne faisaient pas toujours de leur mieux pour apporter plus de diversité dans leurs publications. Quand il ne s’agit pas d' »erreurs » de traduction, de couples homosexuels supprimés, c’est à travers les couvertures des livres qu’elles nous invisibilisent toujours plus.
Je tiens à préciser que dans cet article, je parlerai uniquement de livres traduits puisque je m’appuie sur les différences entre les couvertures originales et les couvertures françaises. Sans compter que les romans francophones avec de la diversité… ça court pas les rues.

1. L’invisibilisation des personnages racisés

C’est un phénomène que l’on peut remarquer de plus en plus. Si les maisons d’édition publient quelques romans avec des personnages principaux racisés, les couvertures ne reflètent pas toujours le personnage.

Ex 1 : Evelyn Hugo

C’est une sortie que j’attendais avec impatience, les sept maris d’Evelyn Hugo publié par Milady. Mais qui est Evelyn Hugo ? C’est une actrice fictive cubaine qui s’est notamment battue contre le racisme (qu’elle a elle même subie) d’Hollywood dans les années 50. Si la couverture VO est en total accord avec l’atmosphère du roman (robe verte émeraude, la peau plus foncée de la jeune femme…), la couverture VF, elle n’a pas absolument rien à voir. On y voir une jeune femme blanche et blonde. Alors oui, Evelyn Hugo est blonde mais simplement parce qu’elle a choisi de se teindre les cheveux pour correspondre aux critères de beauté d’Hollywood tandis que la mannequin de la couverture est clairement une vraie blonde.
Interpellée plusieurs fois, la maison d’édition d’abord dit qu’elle modifierait la couverture puis a finalement changé d’avis sous prétexte que la femme « envoie la projection que l’héroïne se fait d’elle-même ». Y’a-t-il plus culottée que cette réponse absurde ? Et bien oui, puisque Milady a avoué avoir pensé à ajouter un « filtre bronzage » sur la photo d’origine pour foncer la peau de la femme.
Pourquoi vouloir supprimer un aspect si important d’Evelyn Hugo ? Je crois qu’on a déjà la réponse, hein.
Surtout que si la couverture VF d’Evelyn Hugo a été modifiée, l’autre livre de l’autrice « Daisy Jones and the Six » a exactement la même couverture en VF et en VO. Normal, là encore c’est une femme blanche sur la couverture…

Ex 2 : les personnages asiatiques

Deux sorties de 2019 ont attiré mon attention : Fake de Jenn Nguyen et 24 épisodes pour lui plaire de Maurene Goo. Deux romans avec un personnage asiatique en personnage principal écrits par des autrices asiatiques. Et surtout deux romans où le visage de l’héroïne est caché. Hugo Roman et Milan aiment pourtant garder les couvertures originales mais étrangement ici, les couvertures ont été modifié.
L’un des exemples les plus connu est aussi celui de Cinder de Merissa Meyer. Alors je passerais au-delà du fait que l’autrice a fait n’importe quoi avec les prénoms asiatiques de ses personnages mais Linh Cinder est une cyborg asiatique vivant dans un univers fictif asiatique avec un nom à consonance asiatique. Sur le blog de l’autrice, elle l’a décrit comme asiatique et caucasienne, brune… Et sur la couverture ? On a une femme blonde de dos. 😐
Je trouve aussi marrant (non) que l’une des rares fois où un personnage asiatique a été représenté sur une couverture est sur un roman écrit par une personne blanche.
Il n’est pourtant pas difficile de faire des couvertures plus en accord avec ce qu’on publie. Prenez l’exemple de Sabaa Tahir qui a demandé à ce que les couvertures de sa série « Une braise sous la cendre » soient modifiées pour justement représenter ses personnages correctement.

« Please consider that ‘what sells’ or ‘doesn’t sell’ can be a self-fulfilling prophecy. If black kids, Hispanics, Indians both Eastern and Western don’t buy fantasy – which they mostly don’t – could it be because they never see themselves on the cover? » (Ursula Le Guin)

2. L’invisibilisation des personnages LGBTQ+ et l’absence totale de couples queer

J’en ai déjà parlé sur mon compte Twitter mais je suis encore tellement agacée que je vais encore vous en reparler. La couverture VF de Passing Strange d’Ellen Klages ressemble sur beaucoup de points à la couverture VO. La couleur est presque identique, la scène est la même, il n’y a que le style du dessin qui change. Et le style du dessin change tellement que la femme représentée à droite ressemble maintenant plus à un homme.
Le livre se passe dans le communauté queer des années 40 et cette couverture montre pourtant une scène importante du livre, celle où deux femmes dansent ensemble, l’une habillée en homme, sans se cacher. Si sur la couverture VO, on distingue nettement les deux femmes, sur la couverture VF on y voit clairement un homme. Encore une fois, un détail change tout.
En parlant de couples sur les couvertures, je me suis récemment rendu compte du manque de couples LGBTQ+ sur les couvertures. Grâce à certaine maison d’édition (je pense notamment à MxM Bookmark) il arrive souvent que deux hommes soient représentés (par contre même si elle publie quelques titres F/F, jamais deux femmes ne sont montrées). Mais chez les grandes maisons d’édition, peu de couvertures montrent clairement un couple d’hommes ou de femmes. Et encore moins en YA. A vrai dire, je n’en n’ai trouvé que deux. La Sirène et la Licorne d’Erin Mosta et Pour que tu sois mienne de Sara Farizan. Voilà tout ce qu’on a. Deux couvertures. Combien de couples hétéro se retrouvent sur les couvertures ? Il ne m’a pas été difficile d’en trouver une bonne cinquantaine.
Alors heureusement que dans le monde des lectures graphiques, on est un peu mieux servi. Je pense notamment à la superbe couverture de La fille dans l’écran de Lou Lubie et Manon Desveaux qui est juste géniale ou encore à Heartstopper d’Alice Oseman. Les mangas aussi nous offrent en général de très belles couvertures avec des couples d’hommes et de femmes.
Pourquoi la couverture d’un roman est important et pourquoi il est essentiel que tou.tes soient représenté.es ? La couverture est la première chose que l’on voit d’un livre et qu’on le veuille ou non, on a tendance à juger un livre dès ce premier aperçu. Et que se passe-t-il lorsqu’on voit le visage d’un personnage caché ou une simple chevelure blonde sur une couverture ? On se dit que le personnage sera un homme ou une femme blanc.he parce qu’on sait que c’est la norme dans l’édition (et dans plein d’autres domaines) et parce que c’est ce qui se vend.
Et il sera plus compliqué pour un.e lecteurice racisé.e de trouver un livre avec un personnage qui lui ressemble. Le système d’invisibilisation continue en contrôlant la première perception du roman pour qu’on assume que le personnage principal sera blanc et bien hétéro. Car oui, une fois que le roman est acheté peu importe qui le lit.
Il en va de même pour les couvertures de romans LGBTQ+ qui ne montrent pas clairement un couple de garçons ou de filles. Comment peut-on se sentir représenté.e quand rien ne nous ressemble jamais ?
Et encore, on pourrait aussi parler de la totale absence de représentation des personnes grosses et/ou handicapées parce que là je dois vous avouer qu’on trouve encore moins de couvertures et encore moins de romans.
Il faut en finir avec le whitewashing et cette invisibilisation permanente de ceux qui ne sont pas blancs, hétéro, valides… Nous avons autant notre place sur les couvertures des romans que les autres.
Malgré tout, une couverture ne fait pas tout. Je ne pense pas que boycotter les livres whitewashés/pinkwashés servira à grand chose à part faire baisser les ventes et donc donner raison aux maisons d’édition qui disent que la diversité ne se vend pas.
L’autrice Malinda Lo a notamment écrit un bon article où elle dit que peut-être c’est en dissimulant nos identités que la diversité fera son chemin. Par exemple, elle reçoit souvent des mails où des lecteurices disent avoir aimé le livre même si il y avait une romance lesbienne dedans. Probablement que ces personnes n’auraient jamais lu le livre si iels avaient su qu’il y avait une romance lesbienne. C’est peut-être en manipulant les perceptions que les choses changeront, que nous rencontrerons dans les bibliothèques des autres. Même si dans un monde parfait il n’y aurait pas besoin de cacher les personnages racisés/LGBTQ+… Mais bon, nous sommes loin de vivre dans un monde parfait.

« That maxim of « don’t judge a book by its cover »? Well, it’s still true. Even if a book cover doesn’t echo the diversity within the book, that doesn’t erase the diversity. It hides it a little, yes, but the cover is not the story. The cover is an advertisement. » (Malinda Lo)

Et vous qu’en pensez-vous ?

9 commentaires

  1. J’avais suivi la polémique sur Twitter pour la couverture d’Evelyn Hugo, mais je reconnais qu’en tant héréto blanche, ce sont grâce à des articles comme le tien ou à des tweets engagés que je le suis rendu compte de ce problème d’invisibilisation qui me révolte. Comment en 2020, on peut encore en être là ?

    J’aime

  2. Ton article est vraiment très intéressant et je suis totalement d’accord avec toi ! Je m’en suis moi-même fait la réflexion en lisant Cinder puisqu’à la moitié du roman je me suis demandée pourquoi je me représentais Cinder sous les traits d’une européenne blonde alors qu’elle était asiatique… Bin tout simplement à cause de la couverture qui m’a induite en erreur dès les premières pages et ça c’est vraiment dommage. En revanche j’ignorais la raison des changements de couverture de la série « Une braise sous la cendre », j’ai maintenant la réponse 🙂

    Aimé par 1 personne

  3. Il y a tout un enjeu autour des couvertures de livres. C’est ce qui vend, après tout. Plusieurs personnes vont se fier à une page couverture avant de lire (ou pas) un livre. Le fait que les éditions françaises aient choisi d’invisibiliser les personnages racisées envoie quand même un message assez clair: ces couvertures ne se vendront pas (c’est quand même le but ultime de toute maison d’édition: vendre). Mais même lorsqu’il ne s’agit pas de traduction, l’enjeu est présent. Par exemple, pour livres de la série québécoise « Victoire-Divine » qui raconte l’histoire d’une adolescente d’origine africaine qui se bat contre l’intimidation, l’éditeur a choisi de ne pas mettre son visage en page couverture. https://mistikrak.wordpress.com/2019/05/09/victoire-divine-etat-voyou/
    Est-ce que si le visage de Victoire-Divine apparaissait sur la page couverture, la série aurait eu autant de succès ? Je n’ai pas la réponse à cette question, mais cela fait tout de même réfléchir.

    J’aime

Laisser un commentaire