Le Prieuré de l’Oranger ou pourquoi je ne lirai plus la fantasy comme avant (aka le sexisme en fantasy)

14 ans c’est l’âge que j’avais quand j’ai lu mon premier roman de fantasy. 24 ans c’est l’âge que j’avais quand j’ai remarqué que la plupart des livres que je lisais était foncièrement sexiste. 26 c’est l’âge que j’avais quand j’ai enfin faire pu lire à ma copine un roman de fantasy adulte et en français où le couple principal était entre deux femmes (Le Prieuré de l’Oranger de Samantha Shannon). Ma copine, c’est elle la spécialiste du genre à la maison. Elle lit de la fantasy depuis toujours mais de plus en plus je la voyais refermer ces livres en soupirant et en levant les yeux au ciel. Je me suis alors intéressée à ces livres qui trônaient dans ses bibliothèques et le moins que l’on puisse dire c’est que je n’ai pas passé un très bon mois de lectures.
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On pourrait penser qu’en tant que littérature de l’imaginaire la fantasy peut penser et représenter les choses différemment que dans notre monde. Pourtant elle véhicule toujours la vision et les clichés de notre société. En effet, la création d’univers semble permettre une liberté d’invention totale. Pourtant la représentation des femmes (et des minorités) en fantasy est bien souvent entouré de tous les biais sexistes et patriarcaux de nos sociétés et de notre temps. Dragons, géants, magie, tout est accepté mais accorder une représentation et de la diversité ? Hors de question, on garde notre bon vieux sexisme, notre homophobie et notre racisme…
Ici, c’est à la représentation des femmes que nous nous intéresserons plus particulièrement car si elle est important d’être plus souvent exposé à des protagonistes féminins, il faut voir la façon dont elles sont traitées par leurs auteurs.
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Je tiens aussi à souligner la différence entre univers sexiste parce qu’il est un reflet de notre réalité (ou d’une autre période) et univers (et écriture) sexiste. Dans l’un la misogynie sera possiblement un obstacle à affronter pour l’un des personnages, quelque chose que l’auteurice/le narrateur dénoncera d’une façon ou d’une autre et dans l’autre cas, c’est juste… de l’écriture paresseuse. Du vu et re-vu mille fois.
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I- La représentation des femmes en fantasy

L’introduction d’un personnage féminin dans un récit de fantasy repose bien souvent sur une description physique appuyée. Elle est forcément très belle provoquant alors le désir (physique ou simplement romantique) des personnages masculins présents ou la jalousie/méfiance des autres femmes. Ses yeux, sa façon de se déplacer, ses cheveux, tout est passé en revue contrastant alors avec les descriptions des hommes souvent plus sommaires. Comme si ces descriptions n’étaient faites que pour assouvir des fantasmes.
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Ex : « Olen entrevit une jolie fille aux cheveux roux, vêtue d’une robe lacée sur le devant, qui le regardait dans les yeux. » (Qui est-elle ? Comment s’appelle-t-elle ? Peu importe puisqu’elle est jolie). Le puits des mémoires Gabriel Katz – 2012 (p. 35)
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La description d’une fée de douze centimètres chez Pierre Pevel : « La silhouette de son corps nu s’y dessine, un corps menu qui semble n’être qu’un peu de lumière façonné. Il est pourtant bien réel, bien tangible. Et sensible. Pour preuve, Chandelle a pris soin de poser son charmant petit derrière sur un carré de mousse. » Les masques de la Wielstadt de Pierre Pevel – 2001 (p. 245)
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« Assez grande et de loin plus mince et musclée que ses contemporaines qui veillaient à rester grasses pour séduire, elle n’était pourtant pas sans charme […] Alouris d’amples boucles, ses longs cheveux noirs encadraient un visage mince et volontaire dont ils soulignaient la pâleur. Ses lèvres pleines et sombres souriaient rarement. Non plus que ses yeux verts émeraudes où brûlait une flamme froide. » Les lames du Cardinal de Pierre Pevel – 2007 (p. 30)
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« La jeune sirène émergea de l’eau jusqu’à la taille en éclaboussant violemment la surface de l’eau avec ses mains. Geralt se convainquit qu’elle arborait de très beaux seins – parfaits, même. Seule leur couleur gâchait le spectacle : les tétons étaient vert pâle et l’aréole les enveloppant plus claire encore. » – L’épée de la providence d’Andrej Sapkowski – 1992.
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.Vraiment messieurs les auteurs, qu’est-ce que vous avez à passer trois pages à nous décrire la lourdeur, la rondeur et la façon dont pointent des seins ?
Peu importe qui elles sont, ces femmes sont d’abord « belles », « jolies », « attirantes », [insérer ici n’importe quelle qualité physique] (et généralement blanches, on va pas se mentir sauf quand on rajoute un peu de racisme avec tout ça et que l’auteur parle d' »exotisme »). Le personnage féminin ne vit donc qu’à travers sa beauté qu’elle doit presque au lecteur. « Women’s beauty is seen as something separate from us, something we owe but never own. »Jess Zimmerman.
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Un autre exemple (si vous en aviez besoin) : Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski (2009). Voilà un récit qui ne tourne qu’autour d’hommes évidemment, où les femmes ne sont que des « pucelles provocantes », des « gueuses à vendre », des « femmes faciles ». Elles n’ont aucun rôle, aucune éducation et aucun destin autre celui imposé par les hommes. Tout ça c’était sans compter sur une scène de viol (que je ne prendrais pas la peine de citer mais pages. 338-339 si vous voulez vérifier) absolument horrible sans que l’auteur (ou le narrateur) ne condamne une seule fois cet acte.
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Et que se passe-t-il lorsque ces femmes ont la chance de rester présente plus d’une page et même d’avoir le privilège d’avoir un nom ? Elles s’inscriront alors dans trois grands archétypes principaux : la Mère, la Vierge-Épouse, la Femme-Objet. La première est celle par laquelle le héros est materné, elle se définie par sa dévotion aux autres. Elle soigne, guérie, galvanise par ses sages paroles. La deuxième est la femme désirée mais d’une façon pure et romantique (contrairement à la Femme-Objet). Le héros cherche à la protéger sans que celle-ci ait son mot à dire. La troisième sera utilisée pour mettre sur un pied d’estale la Vierge-Épouse. On la rabaisse tout en la désirant. Les deux sont généralement mises en compétition pour l’attention du héros.
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Et les guerrières dans tout ça ? Sous couvert de vouloir s’extirper de ces archétypes, on retrouve parfois des femmes-amazones. « Badass » ce mot que l’on jette à tout bout de champ pour décrire n’importe quelle femme forte en s’imaginant que c’est la seule façon de créer un personnage féminin intéressant. Ces femmes que l’on décrit en rejetant leur féminité (considérée comme faible) qu’elles dénigrent souvent chez les autres femmes, leur empathie et parfois même leur vulnérabilité. Elles sont considérées comme meilleures car elles ne sont pas vaines et se soucient peu de leur apparence. Au final, elles sont presque assimilées à des hommes (dans tout ce qu’il y a de « meilleur » dans les attributs masculins : violence, force…) tout en restant sexy au cas où le personnage masculin décide de coucher avec elle, bien sûr. Une femme n’a pas à être « forte » pour avoir le droit d’exister. Sans compter qu’il n’existe pas une seule façon d’être forte car certaines n’ont pas besoin d’épée pour l’être.
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Ex : « Il y avait bien des femmes dans l’armée mais la plupart étaient guérisseuses ou cantinières… Les combattantes étaient rares, et celle que l’on trouvait en première ligne étaient plus masculines que des taureaux en rut.
Avec ses grands yeux dorés, sa crinière de cheveux bouclés aux tons fauves, sa peau très blanche et ses tâches de rousseur, Kaelyn était -en tout cas pour une guerrière- d’une beauté spectaculaire. Son corps souple et finement musclé, ses fesses bien rondes et ses petits seins fermes étaient une torture pour ces hommes. » Maîtresse de guerre de Gabriel Katz – 2014.
Combo parfait chez M. Katz qui nous sert une femme badass, sexy en même temps (il faudrait pas que la seule femme du roman soit laide en plus !) et qui dénigre les autres femmes. Clichés quand vous nous tenez…
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.Les femmes dans Le Prieuré de l’Oranger :
Si vous ne connaissez pas Le Prieuré de l’Oranger voici son résumé : « La maison Berethnet règne sur l’Inys depuis près de mille ans. La reine Sabran IX qui rechigne à se marier doit absolument donner naissance à une héritière pour protéger son reinaume de la destruction, mais des assassins se rapprochent d’elle…
Ead Duryan est une marginale à la cour. Servante de la reine en apparence, elle appartient à une société secrète de mages. Sa mission est de protéger Sabran à tout prix, même si l’usage d’une magie interdite s’impose pour cela.

De l’autre côté de l’Abysse, Tané s’est entraînée toute sa vie pour devenir une dragonnière et chevaucher les plus impressionnantes créatures que le monde ait connues. Elle va cependant devoir faire un choix qui pourrait bouleverser son existence.
Pendant que l’Est et l’Ouest continuent de se diviser un peu plus chaque jour, les sombres forces du chaos s’éveillent d’un long sommeil… Bientôt, l’humanité devra s’unir si elle veut survivre à la plus grande des menaces. »
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Sur cinq personnages principaux, trois d’entre eux sont des femmes. On a d’abord Ead, une dame de compagnie de la reine mais surtout une espionne et sorte de garde du corps, Sabran, la reine en question et Tané une jeune guerrière. Aucune d’entre elle ne se ressemble, aucune n’est sexualisée et aucune ne subit de violences sexuelles. Ça ne fait pas d’elles des personnages inintéressants ou parfaits qui ne vivent aucun drame.
Si Ead et Tané sont deux femmes qui savent se battre, la force de Sabran réside dans sa façon de régner sur son peuple et dans la puissance de ses mots. Ici, il n’y a pas de « femmes fortes » juste des héroïnes qui cherchent à faire du mieux possible, qui veulent contrôler leur destin qu’elles se battent avec des épées ou avec leur esprit.
Les descriptions physiques des personnages sont si peu nombreuses qu’elles nous laissent la place d’imaginer. A part la couleur de la peau, des yeux et des cheveux, on n’a peu d’information et surtout aucune description déplacée. Sont-elles grandes, petites, grosses, minces ? A vous d’imaginer. Vous n’aurez ni poitrine rebondie, ni dos courbé à s’en casser la colonne vertébrale ici.

« Une femme se tenait dans la pénombre. Ses cheveux bruns lui tombaient à la taille, et sa robe était constellée de fleurs de sel. » (p. 14)

« La ressemblance était troublante. À l’instar de ses ancêtres, elle était dotée de cheveux noirs et d’yeux vert d’eau qui semblaient se fracturer au soleil. » (p 56)

« Une peau profondément olivâtre, tannée et couverte de taches de rousseur. Des cheveux pareils à du vin d’orge. Des yeux d’un ambre clair, légèrement soulignés de peinture noire, une cicatrice sous le gauche. » (p. 133)

L’unique description du corps d’une femme se fait à travers les yeux d’Ead, une femme lesbienne alors qu’elle parle de celle dont elle est amoureuse :
« Des hanches rondes, la taille fine, des seins charnus aux mamelons tendus. Des jambes longues, musclées par l’équitation. Quand elle aperçut l’obscurité entre elles, Ead fut parcourue d’un frisson… » (p. 340)
On est donc ici dans ce qu’on appelle du « female gaze ». Aucun homme dans la scène, la femme nue n’est là que parce qu’elle le veut, pour le plaisir de l’autre personnage et pas pour celui du lecteur/lectrice.
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Le roman est aussi rempli de personnages féminins secondaires : Tusa, Margret, Kalyba, Truyde, Igraine… Chacune d’entre elle a ses rêves, ses espoirs, sa personnalité. On est bien loin du récit où les femmes ont une place réservée et ne sortent pas du carcan imposé, qu’elles soient dames de compagnie, nobles, sorcières ou guerrières. Ici pas de rôles de genre : les gardes peuvent être des femmes et les pirates aussi.
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II- Leurs relations avec les hommes

.On retrouve peu de relations égalitaires entre les hommes et les femmes en fantasy. Bien souvent, elles ont quelque chose à perdre dans ces relations (notamment leur liberté) et peuvent être considérées comme des trophées pour le héros. Elles sont une assurance-vie pour lui qui verra sa descendance et sa mémoire se perpétuer après lui et restent enchaînées à leur devoir de maternité. On est dans cette optique où l’homme doit dominer et la femme enfanter.

Les relations amicales existent peu et évoluent presque toujours en relation amoureuse (ou sexuelle). On retrouve ici l’idée que si un homme et une femme en présence l’un de l’autre n’ont aucun lien familial ou matrimonial, il va forcément se nouer entre eux un jeu de séduction (« tension sexuelle »).

TW : viol

On ne peut pas évoquer les relations entre les personnages masculins et les personnages féminins sans parler des viols et des violences envers les femmes. Encore bien trop récurent en fantasy sous couvert de « réalisme historique » en oubliant trop souvent qu’un roman de fantasy n’est pas un roman historique. Le viol est souvent une menace constante pour les femmes en fantasy. La seule menace d’ailleurs comme si une femme était incapable de s’endurcir autrement que par le viol. On serre les dents dès qu’une femme se retrouve en position de faiblesse car l’on sait ce qu’il va suivre, on le sent venir à des kilomètres et on l’a lu bien trop souvent.
Parfois, il est le moteur du protagoniste masculin, une raison pour lui de se venger. « […] c’est rarement la victime qui se venge mais plus souvent un homme proche d’elle. Pour blesser une femme et la mettre en colère, il lui faire du mal. Pour blesser un homme et le mettre en colère, il faut faire mal à la femme qu’il aime. Le viol féminin sert donc à renforcer la masculinité et la virilité des héros… » – Culture du viol à la française Valérie Rey-Robert (2019)
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L’une des premières questions que l’on me pose lorsque je conseille un livre de fantasy c’est « Est-ce qu’il y a une scène de viol ? ». Voilà à quel point nous sommes confronté à ce genre de violences.
Ensuite, cette violence devient le seul moteur du personnage, sa seule façon d’exister dans le récit. Elle ne se définit plus que par ce qui lui est arrivé.
L’excuse d’un univers historique pour expliquer la rudesse du traitement réservé aux femmes est difficile à comprendre lorsque l’on parle de romans de fantasy où les règles, les codes, les habitudes de notre monde n’ont pas lieu d’être. C’est une façon de perpétuer l’éternelle romantisation des violences faites aux femmes et d’ancrer la victimisation de ces êtres si fragiles qui seraient à la merci de tous ou nécessairement sous la protection d’UN homme. C’est en plus faire de l’Histoire facile. Prenons le Moyen-Age, cette période que nos chers auteurs adorent (on croirait presque ils y vivent encore…), le viol y était là aussi un crime grave. Certes les raisons évoquées ne sont pas les même qu’aujourd’hui puisque autrefois c’était la pureté de la femme, sa réputation qu’on défendait et non pas juste la personne qu’elle était. Il n’empêche que le viol restait un acte punit par la loi (bien trop peu souvent… comme aujourd’hui, quoi).
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Ex : Dans le roman Arkane de Pierre Bordage, nous avons deux personnages principaux, un homme et une femme. Bien évidemment, les menaces de viol et d’inceste pèsent sans cesse sur le tête de cette pauvre Oziel et ce dès les 30 premières pages :« Elle ne bougeait pas, baignée de plaisir, de honte et de frayeur, lorsque les mains agiles de son frère s’insinuaient sous sa chemise de nuit et se promenaient sur sa peau frissonnante » La Désolation : Arkane de Pierre Bordage (2017) (Et oui parce que parfois elles aiment ça en plus, c’est bien connu.)
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« Une splendide et mince jeune femme aux abondants cheveux de jais l’y attendait. Encore plus troublante que ses courtisanes, vêtue en tout et pour tout de fines cuissardes de cuir noir gainant ses jambes fuselées, elle était liée debout, membres écartés, maintenue sur un chevalet composé d’un cadre matelassé de bois laqué. Cette vision enflamma les sens du Ténébreux » L’Agent des Ombres de Michel Robert – 2008.

Le Prieuré de l’Oranger :

Le royaume d’Inys est en réalité un reinaume, une matriarchie, Sabran comme toutes les reines avant elle ne dépend d’aucun conseiller, d’aucun père.
Le Prieuré de l’Orange nous offre en plus de belles amitiés hommes/femmes : Ead et Loth, Sabran et Loth, Niclays et Layla, Margret et Loth, Sabran et Aubrecht. Ces amitiés font même de l’ombre à la romance. D’ailleurs, Tané, elle, n’a aucune sous-intrigue amoureuse.

« Je considère Lord Arteloth comme un proche ami, et cela me satisfait pleinement. » (Ead à Sabran, p. 129)

[SPOILERS]
Sabran, en tant que reine, est même confronté au mariage arrangé. Un mariage dont elle ne veut pas mais auquel elle finit par se plier. Un mariage qui malgré tout reste dans le respect, le consentement et la bienveillance, de la cérémonie, en passant par la nuit de noces…

« Les compagnons s’embrassaient généralement une fois leur union célébrée, mais une telle démonstration ne seyait pas aux personnes royales. Sabran se contenta de saisir le bras que Lievelyn lui présentait, et ils descendirent ensemble de la tribune. » (p. 337)

« Est-ce que tout s’est bien passé, avec Son Altesse Royale ?
— Parfaitement, confirma Sabran.
— C’est vrai ?
— C’est vrai. C’était étrange, mais Son Altesse s’est montrée… prévenante. » (p. 346)

Malgré l’aspect « arrangé » du mariage, jamais ce mari ne se montre violent, jamais il ne profite du fait que Sabran a été obligé de s’unir avec lui. Il se noue même entre eux une relation saine et d’affection profonde. Comme quoi, vous voyez ce n’est ni difficile, ni impossible et ça n’empêche pas au personnage féminin de vivre des épreuves.

III- Leurs relations avec les autres femmes

Vos romans de fantasy préférés passent-il le test de Bechdel ? Combien y’a t-il de personnages féminins et surtout combien de ces personnages ont une interaction, une véritable relation sans aucun lien avec le protagoniste masculin ? Essayez de me citer une amitié féminine dans un roman de fantasy. Allez-y, j’attends. Vous n’y arrivez pas ou difficilement ? C’est parce qu’il n’y en a que trop peu puisque les femmes sont trop occupées à se détester mutuellement. Mais non la concurrence et la jalousie entre femmes ne sont pas des fatalités et ce n’est que de la misogynie internalisée à laquelle on est biberonné depuis l’enfance.
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« Après tout, les attributs de la beauté ne lui serviraient pas à grand-chose. Elle n’avait aucune raison d’envier les dames et leurs corsets cintrés, leurs jupes froufroutantes, leurs rires de fausset ridicules. »  Shades of Magic de V.E Schwab – 2015 (p 88)

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Prenons l’exemple de Brandon Sanderson et… d’environs tous ces écrits. On a parfois, souvent même un personnage féminin complexe et bien écrit (Vin dans la trilogie Mistborn, Sarene dans la série Elantris…) et pourtant elles doivent se sentir bien seules. Elles ne sont entourées que d’hommes (UN personnage féminin intéressant il faut pas trop en demander quand même) et ont en tout et pour tout une, deux ou trois scènes avec d’autres femmes. Elles sont des exceptions dans l’univers, des femmes à part, pas comme les autres.
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“Here’s the truth: friendships between women are often the deepest and most profound love stories, but they are often discussed as if they are ancillary, “bonus” relationships to the truly important ones. Women’s friendships outlast jobs, parents, husbands, boyfriends, lovers, and sometimes children…it’s possible to transcend the limits of your skin in a friendship…This kind of friendship is not a frivolous connection, a supplementary relationship to the ones we’re taught and told are primary – spouses, children, parents. It is love…Support, salvation, transformation, life: this is what women give to one another when they are true friends, soul friends” – Emily Rapp.
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« Voici la vérité : les amitiés entre femmes sont souvent les plus fortes et profondes histoires d’amour mais elles sont souvent considérées comme secondaires, des relations « bonus » à celles qui comptent vraiment. L’amitié entre femmes surpassent le travail, les parents, les maris, les petits-amis, les amants et parfois les enfants… Il est possible de transcender ses propres limites dans une telle amitié. Ce type d’amitié n’est pas qu’une simple connexion frivole, une relation supplémentaire à celles que l’on nous dit essentielles : époux, enfants, parents. C’est de l’amour, du soutien, du salut, de la transformation, de la vie : c’est ce que donne une femme à une autre lorsqu’elles sont amies, une âme soeur. » – Emily Rapp.

Le Prieuré de l’Oranger et les relations entre femmes :

Le roman comporte une seule et unique histoire d’amour et celle-ci se déroule entre deux femmes. C’est déjà assez rare pour être souligné. Mais en plus, les relations qui se tissent entre les personnages féminins sont d’une grande importance tout au long du roman. Comme je le disais au début de l’article, nombreuses sont les femmes et ce sont leurs amitiés ou inimitiés qui font vivre le récit.
Le roman est ancré dans un féminisme nécessaire qu’on ressent jusque dans le coeur du roman. Un roman où l’on donne une voix aux femmes et donc du pouvoir.
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Cher.e.s auteurices/lecteurices, il sera inutile de venir vous défendre et disant « Oui mais moi… ». Oui, mais vous aussi. Vous qui acclamez encore ces auteurs, qui nous les conseillez (sans arrêt) sans imaginer la violence à laquelle nous serons confrontées pour la énième fois. Il y a de meilleurs moyens de créer du conflit que les oppressions et il est temps que vous le compreniez. Terminé vos « héroïnes » passives ou celles, fantômes, qui n’existent que pour quelques pages ou pour le désir des hommes.
Pourquoi est-il encore si peu normal de trouver des romans de fantasy où les femmes sont égales à l’homme ? Peut-être parce nous avons été trop longtemps exclu : « les femmes ne lisent pas de fantasy » disaient-ils. Nous sommes là, nous l’avons toujours été et nous n’accepterons plus les choses d’autrefois. Je vous conseille d’ailleurs de lire cet essai de l’autrice Samantha Shannon qui parle des limites que l’on impose à nos fantasy historiques.
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Je ne dis pas qu’un monde sexiste ou qu’une femme badass fait fondamentalement un mauvais récit. Je dis que pendant trop longtemps on nous a servi les mêmes bêtises (que ce soit intentionnel ou non). Les histoires de ces femmes qui ne vivent d’une façon ou d’une autre qu’à travers un système patriarcal qui ne leur laisse pas de place. Je tiens aussi à souligner que le féminisme ne peut exister sans inclusivité et que vos personnages (féminins ou non) n’ont pas tous à être blancs, hétéros, cis et valides.
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Vos personnages féminins n’ont pas à être parfaits, elles peuvent et doivent avoir des défauts, elles vont et doivent surmonter des obstacles pour grandir, changer comme nous le faisons toutes au quotidien. Ecrivez des reines, des guerrières, des prostituées, des poètes, des prêtresses, des chevalières, des fermières, des mères au foyer et des pirates. Ecrivez des femmes gentilles, des femmes ambitieuses, des femmes douces et écrivez les pires méchantes possibles. Donnez la place à ces femmes d’exister sans homme, des femmes qui ne se marieront jamais ou donnez-nous des mères prêtes à tout pour leurs enfants et des épouses qui iraient au bout du monde pour leur mari ou pour leur femme. Donnez-nous des personnages complexes qui sont plus que leur genre. Surtout, lisez des autrices et soutenez-les c’est elles qui changeront les choses.
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Je précise aussi que cet article n’a pas pour but de faire culpabiliser les lecteurices qui auraient apprécié les livres cités ci-dessus mais de mettre en lumière des pratiques encore trop courantes, trop banales. Si j’ai pris l’exemple du Prieuré de l’Oranger pour illustrer le parallèle entre roman sexiste et non-sexiste, il n’est évidemment pas le seul roman que j’aurais pu choisir. Je vous propose donc une liste de livres de fantasy non-sexistes :
  • Le chant des Cavalières de Jeanne Mariem Corrèze
  • Soeur Écarlate de Mark Lawrence
  • Chien du Haume de Justine Niogret
  • Véridienne de Chloé Chevalier
  • Les Faucons de Raverra de Melissa Caruso
  • La Terre Fracturée de N.K Jemisin
  • Royaume de vent et de colères de Jean-Laurent del Socorro

Merci à Cendrelion qui a co-écrit cet article avec moi, à @elo-goodbye et @adragoninspace pour l’avoir relu et à Mathilde pour m’avoir apporté les précisions historiques.

125 commentaires

  1. […] Et pour finir, en 2020, j’en ai marre de lire des présentations des personnages féminins aux bouches en cul de poule et aux rondeurs placées juste là où il faut. J’ai vu quelques efforts dans ces pages pour éviter de faire d’Alessa un cliché mais ça n’a pas été suffisant… Surtout quand de l’autre côté les hommes ont le droit d’être des pouilleux puants édentés, merci. D’ailleurs, Planète Diversité en parle très bien ici ! […]

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  2. Bonjour,
    Merci beaucoup pour cet article extrêmement bien référencé et qui confirme mon envie de m’intéresser plus particulièrement à la fantasy et à la SF écrites par des femmes. Je pensais ne pas aimer ces genres, mais après avoir lu La Terre Fracturée et Le Prieuré de l’Oranger et adoré les deux, je pense plutôt que je n’aime pas le sexisme des auteurs masculins surreprésentés dans ces genres.
    Petite précision : l’autrice de La Terre Fracturée est N. K. Jemisin, et non Nnedi Okorafor. Bonne journée !

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  3. Bonjour,
    J’arrive un peu tard dans la conversation mais je suis totalement d’accord, c’est en grande partie pour ce genre de problèmes que j’ai renoncé à lire Katz, Pevel, Bordage et Sanderson (hormis l’âme de l’empereur). Néanmoins pour Jaworski je nuancerais car le personnage est volontairement un connard fini. ça pourrait être une excuse un peu facile, certes, surtout si c’était récurrent dans les autres livres de l’auteur, mais ça ne me parait pas être le cas (mais je ne suis pas complètement objective 🙂 ).
    Je ne suis pas très public de high fantasy canonique, mais il faut quand même signaler que ce problème quoique fréquent n’est pas général. Il existe plein de livres avec des personnages féminins qui ne sont pas juste des trophées en carton pâte et/ou des hystériques tyranniques. Pour les auteures, on peut conseiller NK Jemisin effectivement (pour l’ensemble de son oeuvre), la très grande Ursula Le Guin, Diana Wynne Jones (jeunesse attachant et souvent hilarant), Jo Walton, Sofia Samatar, notre Christelle Dabos nationale et j’en oublie bien d’autres. La fantasy est incroyablement diverse il ne faut pas la cantonner à quelques travers 🙂
    En tout cas merci beaucoup pour cette article

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  4. […] Ce roman est, pour l’instant, l’un de mes coups cœur de l’année 2020 pour une simple et bonne raison : quel plaisir de lire un univers de fantasy qui ne soit pas patriarcal, hétéro-normé et sexiste. Pas de violences faites aux femmes, pas d’hyper-sexualisation des personnages féminins (ni masculins), pas d’agression sexuelle tous les trois chapitres… Bref, un bonheur, et une chose est sûre : c’est que je ne lirai plus jamais de la fantasy comme avant, mes exigences ont changé (je vous conseille d’ailleurs l’article de Planète Diversité à ce sujet). […]

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  5. Cet article est très intéressant ! Je veux juste souligner un petit point : j’en ai MARRE que les mondes de fantasy soient basés sur le « Moyen-Âge » parce-que dans 80 % des cas l’auteur ou l’autrice ne connaît rien à la réalité historique et on finit avec une espèce de Moyen-Âge complètement fantasmé. OUI le viol était PUNI au Moyen-Âge et considéré comme un crime grave ! Les chasses aux sorcières n’ont pas pour la majorité eu lieu au Moyen-Âge. Et surtout … On parle d’une période de dix siècles, il faut vraiment arrêter de présenter cette période comme un moment sombre de l’histoire rempli de bouseux et de clichés de fanatiques religieux qui haïssent les femmes ! Si tu veux baser ton univers de fantasy sur le Moyen-Âge pas de problème mais damn, renseigne toi un minimum ! Voilà, c’était le petit coup de gueule !

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  6. Merci !
    En pleine lecture de Pierre Bordage (les derniers hommes) je suis atterré par une scène de tentative viol du héros envers un personnage féminin, qui ne semble pas perçue comme tel par l’auteur lui-même ! La dame se défend et repousse l’assistant avec ses super pouvoirs, et l’auteur d’en conclure « que son corps n’est pas ouvert aux sens » (mais quelle cruche alors) et qu’elle n’a pas sa place parmi les hommes. Flippant pour un livre de 2005.

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